Anne Ratier - l'apologie d'un meurtre

Publié le par Sandro Swordfire

/!\Attention cet article parle de validisme extrême/!\

Son contenu peut être choquant.

 

 

Bonjour.

 

Anne Ratier est une mère qui a assassiné son fils handicapé Frédéric en 1987, alors âgé de 3 ans. Elle a écrit un livre racontant pourquoi et comment elle a tué son fils, ainsi que les raisons qui font que selon elle c'est un acte altruiste de sa part, et la marque de son amour. Son livre est édité en Février 2019, soit un peu plus d'un an après le délai de prescription de son homicide. Elle milite pour l'euthanasie, mais au-delà de cela pour le droit à "l'euthanasie pour autrui" - c'est à dire une liste de critères qui rendraient l'homicide légal, à savoir la mort cérébrale, l'état végétatif, ou un handicap jugé "lourd".

 

Elle se fait connaître en Février 2019 au cours d'une interview radiophonique, mais c'est le 4 Mars que son histoire se répand via internet avec l'interview de Konbini faite par Hugo Clément. Il est intéressant de noter que Hugo Clément avait déjà interviewé Peter Singer, qui considère que les parents de personnes "lourdement" handicapées devraient être en droit de décider de la mise à mort de la personne handicapée en question. Cette interview est donc diffusée quelques jours à peine après le "disability day of mourning", ou "journée de deuil handi", journée de commémoration des personnes handicapées assassinées par leurs aidants, observée chaque année le premeir mars.

 

L'introduction du roman d'Anne Ratier est lisible gratuitement en ligne. Je mettrai un lien en bas d’article, afin que vous puissiez vérifier par vous-même.

 

Je vais vous en faire un résumé et une analyse, afin que vous ayez quand même les éléments nécessaires.

 

Pour commencer Anne Ratier dit que son enfant a été dans un état végétatif pendant trois ans. Or, dans son interview à Konbini, elle explique qu’elle le nourrissait à la cuiller (donc qu’il était capable de déglutir) et qu’il riait quand on le lançait en l’air (donc réaction à un stimulus), ce qui est impossible en état végétatif. Ce qui veut dire que soit elle utilise le terme « état végétatif » à tort, soit elle a totalement inventé toutes les anecdotes autour de son fils qu’elle donne en interview. Le plus crédible est qu’elle utilise le terme à mauvais escient. Est-ce qu’on lui a mal expliqué ce qu’est un état végétatif ? Est-ce qu’elle a mal compris ? Est-ce que la notion était différemment perçue dans les années 80 ? Est-ce qu’elle a pris l’habitude de parler d’état végétatif parce que c’est moins culpabilisant ? Peut importe la raison, le terme est mal employé. Et c’est très important de le comprendre : ce qui compte, c'est avant tout son enfant. Ce qu'elle décrit ne laisse pas de doute sur le fait que son enfant était conscient. Je me fiche de savoir si elle ne comprend pas les mots qu’elle emploie, ou si elle veut dédramatiser son acte, cela ne me concerne pas. Ce qui me concerne par contre, en tant que personne handicapée, c’est qu’elle justifie un meurtre par le handicap de sa victime.

 

Ensuite elle dit que son livre sert à expliquer son choix de ne pas contraindre son fils de, je cite « poursuivre une existence qui n’en était pas une et représentait un calvaire pour lui ».

 

Alors.

 

Premièrement, on parle là d’un enfant de trois ans cérébralement handicapé. Il n’était pas capable de communiquer de façon verbale son ressenti profond sur la valeur de son existence, pas plus qu’aucun autre enfant de trois ans n’en a jamais été capable. C’est elle qui juge que la vie de son enfant était un calvaire, pas lui. Des personnes ayant perdues des parties de leur cerveau, que ce soit à la naissance, dans l’enfance ou à l’âge adulte, il y en a plein. Une déficience cérébrale, ça ne signifie pas avoir une vie abominable dont on ne peut rien espérer. Surtout chez un enfant en bas âge. Le ressenti de son enfant, elle n’avait aucun moyen de le connaître avec précision, ni aucun moyen de connaître ce qu’il en serait à l’avenir. Aurait-il été capable un jour de marcher ? De communiquer ? D’être autonome ? Nous ne le saurons jamais, mais des tas de personnes ayant subi des traumatismes cérébraux majeurs en sont capables. Dans tous les cas, il réagissait au monde extérieur, Anne Ratier le dit elle-même. Donc il avait une sensibilité. Partant de là, il est assez évident qu’il était conscient et qu’il avait son monde intérieur. Très différent de ce qu’on trouve chez une personne valide, assurément, mais parler d’état végétatif est une insulte à toutes les personnes qui vivent au quotidien avec des handicaps cérébraux.

 

Ensuite, elle présente le meurtre de son enfant comme un acte d’amour, vu que selon elle aucun espoir n’étais permis… Ce qui est faux. C’est abominable, et vous allez comprendre pourquoi.

 

Elle raconte ensuite comment elle a essayé de trouver un éditeur dans les années 90, et explique qu’on lui a répondu que le monde n’était pas prêt pour son livre. Parce que bien sûr, tout ce qu’elle raconte ne sert qu’à montrer comme son acte était altruiste et progressiste… On lui recommande donc de ranger son livre et d’attendre, ce qu’elle fera. Les années passent.

 

Elle parle ensuite de Vincent Humbert, en 2003. Vincent Humbert est un jeune homme qui suite à un accident de la route à l’âge de 19 ans (en 2000) est devenu tétraplégique, aveugle et muet, et a demandé l’euthanasie. Illégale en France elle lui a été refusée, sa mère l’a finalement aidé à mourir avec l’aide d’un médecin, trois ans et deux jours après l’accident.

 

Elle parle ensuite de Chantal Sébire, une enseignante française qui s’est suicidée en 2008 à la suite suite d’un cancer très rare qui lui a provoqué des douleurs « atroces » (selon les mots de Chantal Sébire), une perte du goût, de l’odorat et de la vue. Contre le suicide, elle a d’abord demandé le droit à une « mort digne », une euthanasie, qui lui a été refusée.

 

Elle parle ensuite de Vincent Lambert, un infirmier français qui suite à un accident de la route en 2008, à l’âge de 32 ans, se retrouve dans un coma végétatif dont il sortira pour atteindre un état de conscience minimal la même année. Les patients en état de conscience minimale ressentent les émotions et la douleur, peuvent réagir à des stimuli externes et souvent répondre par oui/non à des questions par le moyen de signes notamment. Dans le cas de Vincent Lambert, les équipes médicales ne sont pas parvenues a définir un code permettant de communiquer, et son état neurologique semble se dégrader progressivement, si bien qu’en 2014 il est reclassé en état végétatif. Ses médecins, après consultation de sa femme, décident d’arrêter de l’alimenter en 2013 mais ses parents et deux de ses frères et sœurs s’y opposent. C’est depuis une bataille juridique entre ceux qui sont pour son euthanasie et ceux qui sont contre. Lui n’est pas en mesure de donner son opinion et ne semble pas avoir clairement défini de volonté avant son accident.

 

Elle parle ensuite de Anne Bert, autrice française diagnostiquée en 2015, à 57 ans, d’une maladie de Charcot, une maladie neurodégénérative qui provoque une paralysie progressive des muscles des membres, puis du tronc, comprenant les muscles respiratoires. Elle s’est faite euthanasier en Belgique en 2017. Anne ratier décrit cette euthanasie comme une déclaration d’amour de la part d’Anne Bert à sa famille qui lui épargne ainsi la « vision cauchemardesque d’une déchéance inéluctable ».

 

Elle cite ensuite un article de Philippe Bette qui explique qu’à Lyon une équipe médicale est parvenue à faire émerger un patient d’un état végétatif vers un état de conscience minimale. La directrice de recherche, Angela Sirigu, explique que le patient s’est mis à répondre du regard après plusieurs semaines de traitement expérimental, mais il est décédé d’une complication pulmonaire sans lien avec l’expérience. Anne Ratier y voit une mauvaise nouvelle, et de l’acharnement thérapeutique, alors que cela permettrait au contraire d’avoir l’opinion du patient. Elle met d’ailleurs clairement au même niveau la demande d’euthanasie venant du patient que celle venant des proches. Et bien entendu, elle ramène le débat à la question « si je me retrouvais dans cette situation, que voudrais-je pour moi ».

 

Et voilà bien le problème. Elle ne parle jamais de personne qui n’ont connu que le handicap. Elle ne parle que de personnes ayant perdu leur validité. Aucun des cas qu’elle ne cite ne ressemble, de près ou de loin, au cas de son enfant. Aucun. Parce que son enfant lui n’a connu que cet état.

 

Et cela fait une différence immense.

 

Je vais faire un parallèle simple : vous, qui me lisez, si vous perdiez la vue, ce serait certainement terrible à vivre. Mais est-ce que vous vivriez votre cécité de la même manière qu’an aveugle de naissance ? Non. Bien sûr que non. De la même manière que lorsque vous vous blessez, cela ne vous permet pas de vous mettre à la place de quelqu’un qui souffre de douleurs chroniques depuis sa naissance. Lorsque vous mettez des bouchons d’oreille, cela ne vous met pas à la place d’un sourd de naissance. Être valide et PERDRE son état de validité, se voir priver de ses facultés, c’est une chose terrible et je ne pense pas qu'il y ait de validisme à le dire, c'est une part majeure de son identité qui change brutalement. Mais son enfant n’a jamais été privé de ses facultés. Il n’a été privé que d’une chose, de sa vie, par sa propre mère. Et dans ce sens, la question de ce qu’une personne valide voudrait en cas de perte de ses facultés n'a purement et simplement aucun rapport, ce serait comme se baser sur l'étude comportementale des araignées pour évaluer l'état mental d'un crocodile. Le contexte, les enjeux, les perspectives : absolument tout est différent. Anne Ratier ne présente aucun élément qui soit pertinent, plus de 30 ans après le meurtre. Cela laisse à penser qu'elle préfère se raccrocher à ce qui lui permet de justifier son acte putôt que de se confronter à ce qui pourrait être éclairant à ce propos.

 

Par ailleurs la lecture de l’introduction de son livre rend une chose extrêmement claire. C’est qu’elle est très profondément validiste. Elle est intimement convaincue, et en toute bonne foi, qu’une vie handicapée a fondamentalement moins de valeur qu’une vie valide, elle est convaincue en toute bonne foi que la souffrance des proches est comparable à la souffrance des patients. Elle parle d’elle, surtout d’elle, de sa souffrance, de sa décision. Elle finit son introduction en parlant d’une petite fille, piégée dans des décombres suite à une éruption volcanique, qui y est morte en 1985. Chose qui n’a absolument pas sa place dans son récit, et dénote d'un très profond déni.

 

Que peut-on dire de tout cela ?

 

Eh bien, c’est simple. On peut dire que cette femme ne comprend pas la différence qu’il peut y avoir entre une invalidité de naissance et une invalidité accidentelle. Elle ne comprend pas la différence entre une personne qui demande l’euthanasie pour mettre fin à son état et le meurtre d’une personne dont l’état est jugé par des gens valides sans formation médicale. Elle amalgame même la mort accidentelle d’une fillette dans une tragédie avec l’histoire de son enfant. Et là, pardon, mais il va falloir que quelqu’un m’explique le rapport. Visiblement, voire une petite fille réconforter sa famille devant sa mort inéluctable plutôt que de montrer une terreur sourde a convaincu Anne Ratier que son fils avait envie qu'on l'abatte.

 

En tuant son enfant, Anne Ratier n’a pas mis fin au calvaire de son fils : il était impossible d’établir l’état psychologique de son fils. C’est à son calvaire à elle, qu’elle a mis fin. Profondément validiste, l’état de son fils lui apparaissait comme une horreur absolue, irrémédiable et sans espoir, et elle justifie son meurtre sur la perception qu’elle avait de l’avenir de son enfant.

 

Ce que son enfant vivait, ce dont il aurait pu être capable, ça, personne ne le saura jamais. C’est elle qui a jugé que la vie de son enfant n’était pas digne, c’est elle qui a jugé qu’il devait mourir. Pas lui. Pas un médecin.

 

Trois jours avant que Konbini ne publie son interview, c’était le disability day of mourning, journée de deuil pour les personnes handicapées assassinées par leurs familles. Parce que ce n’est pas quelque chose de si rare que ça. Des handicap cérébraux, des maladies mentales, il y en a plein, et des handicapéës assassinéës ou pousséës au suicide par leurs familles, ça arrive. Ça arrive souvent. Anne Ratier n’est pas pro-euthanasie, Anne Ratier est pro-meurtre.

 

Elle est POUR le droit des personnes valides à disposer de la vie des personnes handicapées. C’est ça, la réalité de cette situation. Et non seulement, avec son livre, elle va en tirer un bénéfice matériel (elle aurait pu le mettre en lecture gratuite sur internet, si c’était uniquement une affaire de témoignage) mais en plus, les valides applaudissent. Les valides saluent son « courage » et les valides saluent sa « compassion ». Et pendant que nous autres handicapéës hurlons unanimement, nous débattons, sommes outréës, nous révoltons contre la publicité donnée à son idéologie mortifère, les valides nous expliquent que soit nous sommes trop handicapéës pour pouvoir comprendre et choisir, soit on n’est pas assez handicapéës pour donner notre avis sur le sujet. Mais les valides ont une opinion recevable, par contre. Pire encore, on explique aux handicapéës que c'est un manque d’ouverture d’esprit de leur part de refuser qu’on débatte de leur droit à la vie. Voilà la réalité de la société française, société où les handicapéës sont considérés comme moins humains que les autres.

 

Ce livre ne parle pas d’euthanasie. Ce livre parle de meurtre.

 

Si vous ne comprenez pas que Anne Ratier est une meurtrière, alors cela veut dire que vous ne voyez pas les handicapés "lourds" comme des êtres humains.

 

Et c’est exactement ce qui revient, invariablement, dans les discussions avec des valides autour de ce sujet. Lorsqu’un handicap est assez lourd, on parle de « légume », de « tas de viande sans conscience » à propos d’êtres humains.

 

Lorsqu’un fait divers parle d’une personne qui a assassiné son bébé, les réactions sont toujours les mêmes. Quelle horreur, quelle abomination. Les peines sont toujours lourdes. Mais si l’enfant est handicapéë… Là, on trouve ça acceptable. Il y a moyen d’en débattre. Les parents sont rarement condamnéës à de la prison. Non, vraiment, c’est pas pareil : la vie d’an handicapéë, ça a moins de valeur. Voilà le message de ce livre.


Ce message est inhumain.

 



Si vous voulez creuser la question, je vous laisse quelques liens :


 

Ici, une vidéo de Margot, de la chaîne "Vivre Avec", militante anti validisme et malade du Syndrome d'Ehlers Danlos

Ici, un fil twitter de "Cocu pêchu"

Ici, le billet de "Aux marches du palais", le blog d'une juriste handicapée

Un article sur le suicide assisté, rédigé pour le Canada, mais les problématiques sont les mêmes en France

Un petit rappel sur l'idéologie eugéniste par "dcaius"

Ma lettre ouverte à François Ruffin

L'introduction du livre de Anne Ratier

Légifrance à propos de l'apologie du meurtre

Le témoignage d'une mère qui vous aidera à comprendre

Ainsi qu'un deuxième

 

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