Le monde merveilleux des paradoxes, ou comment débattre mieux

Publié le par Sandro Swordfire

J'aime bien la logique. C'est un outil puissant, qui permet de comprendre plein de choses et de résoudre plein de problèmes. Elle est fondamentale dans plein de domaines comme la science ou l'esprit critique, mais est aussi utile au quotidien pour résoudre même les problèmes les plus triviaux, et souvent on s'en sert sans vraiment s'en rendre compte. Son formalisme n'est pas intuitif, mais la logique est à la portée de tout le monde et je pense que tout le monde gagnerait à l'étudier, même un peu. Car même si tout le monde s'en sert de temps en temps, c'est pas pour autant que tout le monde sait s'en servir. Souvent, les gens croient prendre une décision logique alors qu'en fait pas du tout. Et parfois les gens croient avoir fait ou dit un tuc absurde alors que pas du tout. C'est comme la plomberie, ça s'apprend.

 

En ce moment, c'est la pandémie de covid-19, et comme beaucoup de situations de crises, les comportements déraisonnables ont des conséquences plus graves que d'habitude et mine de rien, la logique sert aussi à ça : éviter des conséquences graves. La logique, c'est l'outil principal de la raison.

 

Et du coup, comme je pense pas qu'un cours guindé et strict intéressera grand-monde, pour vous parler de la logique j'ai décidé de vous parler de sa némésis : les paradoxes.

 

Dans le langage courant, quand on parle de paradoxe, on parle de quelque chose de contre-intuitif, quelque chose qui sonne surréaliste mais qui est tout de même vrai. En logique formelle, on utilise le terme "paradoxe" de façon plus ciblée, pour désigner des assertions que la logique ne peut résoudre. Un exemple sera plus parlant :

 

le tweet en question

 

C'est un paradoxe logique. Si ce tweet est vrai, alors il est un mensonge et donc il n'est pas vrai. Si c'est un mensonge, alors son contenu est faux et il dit donc la vérité. En logique une assertion est soit vraie, soit fausse. Celle-ci est les deux à fois, elle se situe en dehors des règles usuelles de la logique. C'est un paradoxe.

Il existe des tas de paradoxes, il en existe même des classements en familles. On peut tirer des enseignements très utiles des paradoxes, notamment pour ce qui est de débattre. Souvent, les débats arrivent à des impasses, même quand les gens font l'effort de discuter sincèrement et de s'écouter vraiment. Et souvent, c'est à cause de paradoxes.

Apprendre à repérer quand un débat tourne au paradoxe demande un peu de pratique, mais dans les faits c'est le cas de la majorité des débats. Et ça fait perdre un temps considérable.

 

Quand on parvient à identifier une situation où l'on est face à un paradoxe, on peut très simplement arrêter de débattre de la solution. Parce que débattre de la solution à un paradoxe est absurde, c'est un paradoxe et en tant que tel il n'a pas de solution. Purement et simplement !

 

Alors vous allez me dire, on résout bien les débats d'une façon ou d'une autre. La plupart des lois sont le fruit de débats, donc c'est bien que les débats sont pas tant des impasses que ça. Sauf que non : quand un débat tourne autour d'un paradoxe, la loi est une réponse au questionnement social, mais il n'est pas une solution au problème logique. Et le fait de ne pas avoir de solution au problème logique participe à ce que certains débats reviennent encore et encore. Mais s'il n'est pas possible de solutionner un paradoxe, il est par contre possible d'en sortir. Et c'est pour ça que savoir reconnaître quand on est dans une situation de paradoxe est utile, parce que ça permet de savoir identifier ce qui rend un débat impossible, et comment contourner le problème et trouver une réponse satisfaisante à la problématique.

 

Quand, dans un débat, on n'arrive pas à trouver de solution logique il y a en gros trois cas possibles :

(je souligne "logique" parce qu'il y a d'autres raison de pas trouver de solutions par le débat, j'en parle plus loin)

1)Les prémisses sont fausses.

2)Le raisonnement développé est invalide.

3)Il n'y a pas de solution logique.

 

La première chose à vérifier, ce sont les prémisses : c'est-à-dire l'ensemble des hypothèses de base ainsi que les définitions qu'on utilise. Personne ne maîtrise tous les sujets ni ne connait toutes les terminologies avec exactitudes, surtout quand entrent en jeu des mots difficile à définir. Mettre à plat les définitions et les hypothèses de base est donc la première chose à faire. À noter tout de même qu'il n'est pas toujours possible de se mettre d'accord sur la définition des choses ! Or, si on peut pas se comprendre, on peut pas vraiment débattre non plus. Pour le dire simplement : ça ne sert à rien de discuter d'un sujet si tout le monde ne parle pas du même sujet. Donc, il faut d'abord et avant tout se mettre d'accord sur les prémisses, avoir les mêmes définition, ne pas s'appuyer sur quelque chose de faux, etc. Une bonne illustration de ça, c'est le "débat" autour du racisme anti-blanc.

 

La deuxième chose à vérifier, c'est la validité des raisonnements. Si les définitions sont claires et font consensus et que les hypothèses de base sont solides, alors on entre dans le champ de compétence de la logique, et son application est d'une efficacité redoutable. Si avec des bonnes définitions et de bonnes hypothèses on n'arrive pas à une solution valide, c'est généralement que le raisonnement est lui-même faux. Dans ce cas il suffit de le corriger pour que ça marche tout de suite beaucoup mieux.

 

Dernier cas possible, enfin : le paradoxe. Un paradoxe, ça n'a simplement pas de solution. Alors, la seule façon de sortir du paradoxe est d'accepter que la conclusion sera nécessairement subjective et arbitraire. Dès lors, le but n'est plus tant de trouver la solution logique, mais plutôt de réfléchir aux critères sur lesquels se concentrer pour construire une conclusion satisfaisante.

 

Et ça change tout. Parce que à partir de là, il n'est plus question de savoir qui a raison ou tort, ou de montrer qu'on a raison, parce que ce sera essentiellement une question de point de vue. Un des paradoxes qui revient souvent, c'est le paradoxe sorite. Par exemple, au bout de combien de semaines on doit interdire l'avortement ? La logique ne permet pas de trancher cette question, et toutes les législations ne sont pas d'accord sur le temps maximum. La décision du nombre de semaines maximum est un arbitrage : une règle définie parce qu'il faut définir une règle. C'est pour ça que je dis que la conclusion de ce genre de débat est arbitraire : elle n'est pas arbitraire dans le sens où elle ne repose sur rien, au contraire ces décisions peuvent reposer sur un très grand nombre d'éléments. Elle est arbitraire dans le sens où elle constitue un arbitrage.

On peut tirer de l'existence même des paradoxes un enseignement général sur la logique : on ne peut pas tout résoudre par la logique pure. Les paradoxes existent, et les paradoxes sont par essence irrésolubles. C'est ce qui fait qu'un paradoxe est un paradoxe : on ne peut pas le résoudre par la logique.

 

On peut calculer mathématiquement la validité de n'importe quel argumentaire logique. C'est long et fastidieux, mais c'est possible. Mais tout argumentaire ne peut pas être réduit à de la logique, donc tout argumentaire ne peut pas être calculé . Le paradoxe du menteur (cité plus haut dans le tweet) est un paradoxe, il existe et sa seule existence est une preuve des limites de la logique formelle. La logique formelle est certes très puissantes lorsqu'on a des définitions claires mais ça ne signifie pas qu'on peut l'appliquer à tout, loin de là. Ne serait-ce que parce qu'il faudra toujours, à un moment donné, une définition racine qui sera bien souvent arbitraire. Donc, pour résoudre une question quelle qu'elle soit, il y a nécessairement des choses qu'il faut admettre telles quelles à un moment donné.

 

Il existe d'autres formes de logique que la logique formelle, comme la logique floue (une sorte de logique statistique) par exemple. Mais ça ne change rien au fait qu'on intègre dans notre fonctionnement des paradigmes qui, fondamentalement, ne sont pas le fruit de la logique.

 

La puissance de la logique est ailleurs, elle est dans la structure d'un argumentaire, elle soutient la cohérence d'un discours ou d'une idée. Mais la logique n'est jamais vraiment la base d'un argumentaire. La base d'un argumentaire, ça peut être de l'opinion, du parti-pris, des croyances, des connaissances, des observations... Et c'est important de prendre le temps de questionner ce qui soutient un argumentaire, car tout n'est pas équivalent, loin de là.

 

Dans un débat, la logique est parfaitement indispensable. On en a tous quelques rudiments mais ce n'est pas forcément suffisant. Pour autant on peut connaître la logique sur le bout des doigts, si on ne connaît pas un sujet, connaître la logique n'y changera rien. La logique seule ne rend absolument pas compétent à parler de n'importe quel sujet, loin de là ! Si vous voulez débattre de façon constructive, quel que soit le sujet, il est parfaitement indispensable de reconnaître les limites de vos connaissances. Par ce que même si vous maîtrisez la logique, vos connaissance en sont toujours le socle. Croire qu'on peut débattre d'un sujet qu'on ne maîtrise pas, avec un expert et sur un pied d'égalité c'est comme croire qu'on peut remplacer des briques par des marshmallow, ça n'a aucun sens et ça ne construit rien d'utile. Et pourtant, on fait tous l'erreur, ça s'appelle l'effet Dunning-Kruger et je vous en parlerai bientôt.

 

La logique est un outil, un genre de tournevis mental qui permet de construire des idées cohérentes et dans ce sens on gagne tous à s'y intéresser. Mais il ne faut jamais perdre de vue que ce n'est qu'un outil. Même avec les meilleurs outils du monde, si vous essayez de construire un buffet avec du bois pourri, vous ne ferez jamais mieux qu'un buffet pourri. Les idées, les débats, c'est pareil : si vous vous reposez sur des contre-vérités ou des préjugés, vous pouvez y appliquer toute la logique du monde, à l'arrivée vous aurez n'importe quoi et surtout rien de constructif.

Publié dans Soyons logiques

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