C'est quoi le problème avec le professeur Hamonet ?

Publié le par Sandro Swordfire

Avant de lire cet article je vous recommande de lire mon résumé de l'historique du Syndrome d'Ehlers-Danlos.

 

Aujourd'hui je vais vous parler du professeur Claude Hamonet, et il y a vraiment beaucoup de choses à dire.

 

Alors je vais faire par partie.

1.C'est qui et pourquoi faire un article dessus ?

 

Claude Hamonet, c'est un médecin spécialisé en médecine physique et de réadaptation, et c'est sans doute le médecin qui a le plus contribué au protocole d'accompagnement médical du SED. Mais avant de parler de lui, il faut parler des médecins en règle générale.

 

Les gens ont des biais. Plein de biais. C'est notre cerveau, il est puissant mais il fait des raccourcis, c'est normal. Mais il y a une profession avec laquelle on a un peu plus de biais que la moyenne : la médecine. Un médecin ça peut avoir la vie d'un patient sur le grill, alors il doit apprendre à être performant. On lui apprend à être performant pour certaines tâches dans certains contextes en mettant en place des biais qui optimisent ce travail-là, mais ces biais vont justement devenir contre-productif dans d'autres contexte, pour d'autres patienstes. Plus vous avez un truc rare, plus vous avez un truc bizarre, plus vous avez un truc flou, plus c'est dur à trouver. On n'apprend pas aux médecins qu'ils peuvent ne pas trouver, par contre on leur apprend que les patienstes sont toujours à voir comme d'éventuelës menteureuses et/ou des affabulateurices. Et comme le SED est considéré comme rare, qu'il est bizarre, qu'il est flou, et qu'il est invisible à l'imagerie, les médecins ne croient pas en nos symptômes.

 

Le deuxième gros biais c'est le biais de spécialisation. An médecin spécialiséë dans un organe ou une pratique verra ses patienstes avec une approche liée à son organe ou sa pratique de prédilection, mais surtout iel va occulter le reste. C'est son boulot. Le SED touche tout le corps, et on apprend aux médecins à ignorer les points jugés négligeables ou qui ne les concernent pas donc la compréhension du SED a toujours été très empreinte de cette approche de la médecine. Pour vous donner une idée, en 1997 quand la définition du SED a été mise à jour, six types de SED ont été définis et un seul avait "douleur" en symptôme. Aucun n'avait "fatigue". Parce que les médecins qui ont fait la classification n'écoutaient que partiellement les patienstes. Iels n'entendaient que deux choses : les symptômes qui collaient avec leur spécialité, et les symptômes qui collaient avec la perception qu'iels avaient déjà de la maladie.

 

 

Et c'est à peu près à cette époque que Claude Hamonet découvre le SED. Interne médaille d'or, spécialiste en médecine physique, docteur en anthropologie, expert reconnu sur les thèmes du handicap et de l'éthique médicale, il a été enseignant, praticien, chef de service, expert auprès de l'OMS... Je ne détaillerai pas son CV parce qu'il est plus long que mes deux bras, mais sachez simplement que ce n'est pas un médecin hospitalier ordinaire. De par sa spécialité médicale et son expertise du handicap, il a une approche globale du corps. En gros, Hamonet avait les bons biais pour s'occuper du SED.

 

Il était chef de service au CHU de Mondor, à Créteil, quand en 1996 on lui envoie une patiente dont la rééducation se passe mal. Douleurs, instabilité articulaire, multiples opérations sans résultats fonctionnels, difficultés vésico-sphinctériennes, incontinence. Après discussion est décidé d'opérer. Des précautions sont prises vu le mauvais état du tissu conjonctif, mais la chirurgie est un échec total. Plus tard, elle perd l'ouïe d'une oreille, sans qu'on puisse expliquer comment, cette perte sera définitive. Un jour en rendez-vous, assise, elle s'effondre de sa chaise sans crier gare et se rassied comme si de rien n'était. Peau étirable. Hyperlaxité. Le diagnostic tombe : Syndrome d'Ehlers-Danlos. Son cas sera présenté au congrès national de médecine physique et de réadaptation, sans susciter grand intérêt, sinon de la docteure Marylène Boucand qui a créé et préside alors l'AFSED, une association de malades du SED. Elle demande à Hamonet de recevoir les 177 membres en consultations, ce qu'il fera.

 

Les patienstes, majoritairement des patientes, défilent, le plus souvent avec leurs familles. Dès les premiers cas les mêmes symptômes que ceux observés chez la première patiente reviennent. Douleurs diffuses, fatigues importantes, instabilité articulaire, trouble de la commande motrice, troubles auditifs et olfactifs (plutôt hypersensibilité), troubles neurovégétatifs et bien sûr hypermobilité articulaire et étirabilité cutanée. Je rappelle qu'en 97 prime la classification de Villefrance :

 

1 - « Classique », ex Type I et II : Laxité articulaire et cutanée
2 - « Hypermobile », ex Type III : laxité articulaire, douleurs
3 - «Vasculaire », ex Type IV : modifications du morphotype (face, extrémités), peau très fine, risques de ruptures artérielles, intestinales ou utérines.
4 - « Cyphoscoliotique » : Scolioses sévères de la petite enfance (« congénitales ») et manifestations oculaires.
5 - « Arthrochalasis » : Grande laxité articulaire avec luxation de hanche dès la naissance.
6 - « Dermatoparaxis » : manifestations cutanées importantes.

 

Ça ne colle pas avec les cas. Hamonet décide alors ce que peu de médecins décident : écouter attentivement le patient, et ne jamais remettre en question ses propos, même s'ils paraissent surprenants. Le tableau clinique s'enrichit très vite, et finalement Hamonet constitue sa propre classification symptomatique. Il arrive à un total de 79 symptômes qu'il répartit en groupes.

 

Autrement dit Hamonet, face à 177 cas d'une même maladie, décide d'envoyer bouler la définition classique de la maladie et de repartir de l'observation des cas. Ce n'est pas une décision absurde dans le sens où c'est une maladie qui a été alors très peu observée et que la classification se base principalement sur les travaux de Beighton. À partir de là, Hamonet se spécialise progressivement dans le SED.

 

En France, Hamonet est un expert "officieux" : toustes les patienstes connaissent son nom mais il ne travaille pas avec les centres de références. Pire encore : les médecins des centres de référence présentent Hamonet comme un gourou, un mystificateur et un charlatan.

2.Qu'a donné son approche ?

 

C'est un point extrêmement important : son approche aboutit à une prise en charge orthétique des symptômes, unique au monde, qui donne de très bons résultats. Orthèses de maintien, vêtements compressifs, matelas à mémoire de forme et bien d'autres outils qui améliorent considérablement la qualité de vie des patienstes. Viendront s'y ajouter l'oxygénothérapie, un traitement médicamenteux pour gérer la douleur ainsi que certains symptômes, et des protocoles de musculation plus adaptés. Pour le dire clairement : quasiment tout le protocole de soins efficace lié au SED a été défini par Hamonet ou en partenariat avec lui.

 

Je n'ai pas pour but de le porter aux nues ou d'en faire une sorte de messie du SED, mais simplement de rappeler un fait. Il a trouvé des solutions inédites et efficaces aux problèmes liés au SED : on peut donc considérer qu'il l'a mieux compris, ou qu'il en avait la bonne approche. Ou que les autres n'ont pas assez cherché, il est courant dans le cadre des maladies rares que la recherche se concentre sur l'identification des mécanismes sous-jacents AVANT de chercher des solutions. Hamonet, lui, a cherché des outils pour améliorer le quotidien, parce que c'est ce vers quoi son bagage d'expert du handicap l'a amené. Entre 1997 et 2017, il a vu environ sept mille cas de SED.

 

De la même manière, son approche a aussi grandement participé à une meilleure connaissance et reconnaissance du SED en France. Il n'est pas le seul à avoir travaillé dans ce sens, et d'autres experts reconnus du SED ont beaucoup fait pour la reconnaissance des patienstes, mais il a œuvré en ce sens avec elleux et le lui enlever serait malhonnête.

3.Alors c'est quoi le problème ?

 

Le problème est multiple, et pas toujours de très bonne foi. Je ne m'intéresserai qu'à ce qui est pertinent : il y a contre Hamonet des rumeurs, des bruits de couloirs, des raccourcis honteux et même des mensonges purs et simples sur lesquels je ne m'attarderai pas. Hamonet n'est pas exempt de défauts, il n'y a pas besoin d'inventer des anecdotes pour trouver à redire.

 

Déjà, il a fait table rase de la définition clinique d'une maladie qu'il jugeait incorrecte pour repartir de zéro en se basant uniquement sur des patients. C'est mal vu. C'est pas "mal" en soi, il a eu parfaitement raison de le faire puisque la définition du SED était empreinte des biais des médecins qui l'ont précédé et de leur déni des patienstes. Les maladies rares souffrent souvent de ce genre de problème d'approche et critiquer ce qu'on pense acquis est parfois salutaire, mais c'est souvent mal vu des autres médecins, surtout quand c'est à ce point-là. Il est des médecins qui le prennent comme un manque de respect envers la profession. C'est triste à dire et généralement inconscient, mais pour beaucoup de médecins respecter la profession est plus important que respecter les patienstes.

 

Le deuxième problème est absurde. On lui reproche de diagnostiquer trop de SED et de diagnostiquer des SED qui ne collent pas avec les définitions classiques du SED, notamment des cas "sans hypermobilité". Ce reproche est abusif pour deux raisons : la première raison, c'est que reprocher à un spécialiste de traiter des patienstes de sa spécialité est stupide. On ne se retrouve pas devant Hamonet sans raison, la plupart de ses patienstes sont envoyés par d'autres patienstes qui reconnaissent un SED chez quelqu'un qu'iels connaissent (souvent un parent), il est donc logique qu'il diagnostique beaucoup de cas. Quant au fait de diagnostiquer des cas de SED qui ne collent pas à l'idée générale de la maladie, j'ai envie de dire : les définitions usuelles du SED, quand on a commencé à lui faire ce reproche, étaient celle de Villefranche (1997). Or la classification de New York (2017) inclut un grand nombre de symptômes que Hamonet avait déjà remarqué chez les SEDistes vingt ans avant. La médecine évolue à une vitesse qui dépend du nombre de cas, dans le cas d'une maladie peu commune, la médecine avance lentement, traînée par des médecins confrontés à de grands nombres de cas comme c'est le cas de Hamonet, et comme ça a été le cas de Beighton avant lui. Ce qu'on pourrait lui reprocher par contre, c'est d'avoir tendance à tout placer sous le signe du SED, dans le sens où avoir un SED n'exclut pas d'avoir d'autres pathologies. Pour ce qui est des diagnostics qui ne "collent pas", je vous laisse aller voir pourquoi l'hypermobilité n'est pas forcément le critère le plus pertinent pour parler du SED.

 

On lui reproche certains propos sur la gestion du handicap en France, aussi bien administrative que médicale, qui renvoient l'état et les médecins à leur validisme. Ses critiques (notamment à propos du fonctionnement des MDPH) sont pertinentes et les handicapéës gagneraient à ce que l'état et le monde médical acceptent de se remettre en question. Mais quel médecin aime s'entendre dire que sa pratique de la médecine puisse être maltraitante, voire qu'elle mette en danger la vie des patienstes. Et c'est d'autant plus difficile si c'est vrai, parce que ça veut dire qu'on est peut-être responsable de l'état de patienstes pour qui on pense avoir fait au mieux.

 

On lui reproche de trop prescrire, de faire trop de tests, de faire trop de suivi. Traitement contre les tremblements, contre la constipation, analgésiques, vêtement compressifs, rendez-vous réguliers, imagerie pour suivre l'état du cœur et des veines cérébrales, etc. Quand on a des problèmes de tremblements, de constipation, de douleurs, et un taux d'AVC largement supérieur à la population générale ça semble être du bon sens, mais pas aux yeux des autorités médicales : dans les centres de référence, le protocole de soin a récemment inclus les vêtements compressifs uniquement parce qu'ils font consensus à l'international. Dans les années 2010, quand Hamonet avait une vingtaine d'éléments d'accompagnement médical, on pouvait résumer l'action du centre de référence parisien à "bien, vous avez un SED, il n'y a rien à y faire.", et souvent sans même recommander un dossier de reconnaissance handicap. Et encore : dans les cas où le diagnostic est posé ! La plupart des malades du SED n'y obtenaient même pas le diagnostic.

 

On lui reproche aussi ses propos sur la fibromyalgie, ses propos sur l'aspect génétique/épigénétique du SED, et ses propos sur la classification du SED. Ce sont des sujets où il y a des choses à dire, et je leur consacrerai volontiers un article chacun, mais en résumé : Hamonet a une position très tranchée sur des sujets à propos desquels il peut être difficile de statuer de façon catégorique. Là où le débat pourrait être constructif, on assimile tous ses propos au point suivant pour se défausser de tout questionnement.

 

Dernier point : on lui reproche de tout mettre sous le signe du SED, tendance qui s'accentue malheureusement avec les années et il en est arrivé au point de considérer que certaines comorbidités du SED comme l'autisme ne sont que des symptômes du SED, et non pas des entités médicales à part entière. C'est totalement abusif. Ce dernier point justifie complètement la méfiance, mais je tiens à rappeler que la méfiance date d'avant qu'il ne se "radicalise", si je puis dire.

 

En France son expertise est niée en bloc depuis longtemps, les dossiers des patienstes qu'il diagnostique sont régulièrement refoulés par les MDPH, le protocole de soin qu'il a défini ne commence à être appliqué par d'autres médecins en France que parce que ces protocoles commencent à faire consensus à l'international. On préfère à ses méthodes de diagnostic des tests génétiques non fiables, tests critiqués jusque dans la classification de 2017 elle-même. En clair : on préfère une prise en charge du SED catastrophique, et dire aux patienstes "il n'y a rien à faire" plutôt que d'appliquer les conseils de Hamonet, et quand on propose un accompagnement, on se retient bien de dire qui en a défini le protocole.

4.Conclusion

 

Je ne compte pas vous dicter quelles conclusions tirer de tout cela. Néanmoins voici les miennes.

 

Hamonet a défini un protocole orthétique qui améliore considérablement la qualité de vie des patienstes du SED. Il a aussi grandement participé à la reconnaissance du SED ainsi qu'à l'accessibilité des informations sur internet. Lui reconnaître simplement le mérite qui est le sien, en tant que patienste ou en tant que confrère, n'implique pas d'être d'accord avec lui sur tout. Personne n'est parfait, personne n'a raison sur tout, les errances d'Hamonet ne justifient pas de le diaboliser.

 

Plus une maladie est rare, moins il y a de moyens et de données à disposition et plus le consensus médical est faible, biaisé et critiquable. La réalité médicale est une chose qui évolue tous les jours, et critiquer les consensus faiblement établis est une nécessité, sans quoi on n'apprendra jamais rien sur ces maladies. On ne parle pas de vaccin ou de cancer, sujets pour lesquels les moyens sont immenses et pour lesquels il sort des études chaque jour, mais du Syndrome d'Ehlers-Danlos, une maladie terriblement sous-diagnostiquée et méconnue, et on parle de rejeter son consensus en 96, soit AVANT la classification de Villefranche qui était ridiculement vide. Rejeter en bloc toute avancée, au prétexte qu'elle ne rentre pas dans la perception traditionnelle (et désuète) d'une maladie, n'est pas seulement sophistique, c'est un dogmatisme dangereux pour les patienstes.

 

Les victimes de ces guerres de chapelle, ce sont nous : les SEDistes.

 

Et pour finir, je ne peux pas m'empêcher de voir le rejet de Hamonet comme l'arbre qui cache la forêt. Et cette forêt, c'est le rejet de l'expertise des malades. Nous, SEDistes qui vivons avec le SED chaque jour et qui, collectivement, en savons plus sur lui que la médecine dans son intégralité, avons l'expertise pour trancher ces questions mieux que quiconque. Pourtant, on continue de nous classifier en fonction des besoins de la recherche, qui veut des groupes homogènes de patienstes, plutôt qu'en fonction du SED et de son expression clinique.

Publié dans SED

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