Que dire ou non de l'auto-diagnostic ?

Publié le par Sandro Swordfire

Aujourd'hui j'écris ce qui me semble être un article particulièrement important, mais aussi particulièrement délicat. On va parler de l'auto-diagnostic.

L'auto-diagnostic est facile à définir : c'est le fait de se diagnostique soi-même.

Si vous n'êtes pas concerné par cette question, vous allez probablement vous dire "quelle drôle d’idée". Si vous êtes concerné par la question au contraire, vous allez probablement (et un peu sur la défensive) vous dire "ça m'a sauvé". C'est en tout cas une expression qui revient bien souvent quand les gens abordent cette thématique. "ça m'a sauvé". C'est une expression puissante, n'est-ce pas ? C'est pourquoi je trouve que cette question de l'auto-diag mérite le plus grand respect et le plus grand sérieux.

Mon approche est centrée sur le SED, puisque c'est ce que je connais le mieux, mais la plupart des arguments qui suivent sont transposables tels quels à n'importe quelle autre trouble dès lors qu'il est suffisamment méconnu ou mésestimé du monde médical, ce qui regroupe quasiment tous les auto-diags. Comme s'il y avait une logique sous-jacente...

Les personnes non concernées s'imaginent souvent quelqu'un qui tape un symptôme bénin sur doctissimo et se trouve un cancer en trois minutes montre en main. On peut difficilement être plus loin de la vérité. Des retours que j'ai eu, l'auto-diag fait quasiment toujours suite à une errance médicale : la personne est malade (ou a un fonctionnement différent de la norme), et ce suffisamment pour n'avoir absolument aucun doute dessus. Il ne s'agit pas d'un vague sentiment, d'un besoin de se rendre intéressant ou d'un symptôme bénin et passager. L'auto-diag survient généralement après une période de questionnement assez longue et la rencontre d'un nombre de médecin assez grand, chez des personnes qui sont au-delà de la conviction : ils savent, sans l'ombre d'un doute, qu'il y a quelque chose qui cloche. Et parfois, trouver la cause, mettre un nom sur ce quelque chose devient obsessionnel, parfois ça devient vital, et assez souvent ça devient les deux.

Parce que quand vous êtes malades et dans le déni, vous vous faites du mal en regardant ailleurs. Mais quand c'est le reste du monde qui est dans le déni de votre maladie, c'est le reste du monde qui vous fait du mal en regardant ailleurs. Et, désolé de le dire aussi crument, mais ça en a poussé plus d'un au suicide.

C'est une situation qu'on ne traverse pas quand on a quelque chose que tous les médecins connaissent et savent reconnaître. On ne se retrouve dans une situation de ce type que lorsqu'on a un truc peu connu, dur à trouver, mal connu, etc. C'est pour ça que je disais que les arguments qui suivent s'appliquent très bien à tous les auto-diags. L'existence même de l'auto-diag est, en soi, une conséquence des limites des médecins.

L'auto-diag relève souvent de la nécessité vitale pour se reconstruire, même partiellement. Mais tout aussi souvent, l'auto-diag est au final la clef qui ouvrira ensuite la porte d'un diagnostic, d'une reconnaissance médicale et sociale, et surtout du graal : un traitement et une prise en charge. Et c'est là que survient le paradoxe que beaucoup de médecins ne veulent pas reconnaître : c'est souvent l'auto-diag qui amène à sélectionner la bonne spécialité médicale ! Car les patients connaissent mieux leurs corps que les médecins, qui souvent ne les écoutent pas assez.

Car c'est là l'autre problème que les médecins refusent souvent de reconnaître. C'est que ne connaissant pas les maladies rares, ils ne savent pas quelles sont les questions pertinentes à poser pour les mettre en lumière, et ils ne savent pas non plus quel sont les signes auxquels il faut prêter attention pour les repérer. Et c'est ainsi qu'ils passent à côté de la connaissance de l'état de leur patient. Parfois (trop souvent) leur validisme suffit. Posant les mauvaises questions, balayant les réponses d'un revers de la main. Quel patient en errance médicale n'a jamais entendu un médecin lui dire "c'est dans votre tête" ?

D'aucun diront : oui, mais on n'est pas médecin ! Et c'est vrai, on n'est pas médecin. Mais prenons le cas du SED : je suis diagnostiqué depuis environ 8 ans, 8 ans que j'ai passé à me documenter dessus. Je connais le SED mieux que la plupart des médecins non spécialistes. Et pourtant, je ne suis pas médecin. Je ne connais pas le cycle de Krebs. Ni l'ostéogénèse. Ni la génétique, la réplication cellulaire, la pharmacologie. Etc, etc. Oui, un médecin a les connaissances génériques du corps humain, j'ai les connaissances spécifiques au SED, mais chacun a les connaissances de son propre état et il est difficile de les transmettre. Déjà parce qu'il faut, pour ça, que le médecin écoute... Et pose les bonnes questions.

La façon dont la médecine fonctionne est adaptée aux cas courants et aux cas d'urgence. Mais dans le cas des maladies rares, des choses inattendues, discrètes, ou un peu bizarres c'est l'approche même de la médecine qui au contraire prive les malades d'un diagnostic. Les généralistes sont quasiment éduqués à ne pas connaître les maladies rares au-delà du fait qu'il en existe et que ça ne les concerne pas, mais si eux ne savent pas les reconnaître, comment voulez-vous qu'un malade se retrouve face au bon spécialiste ? Est-ce donc au spécialistes de connaître les spécialités des autres pour ré-aiguiller les malades au bon endroit ? Non, bien sûr que non. Et c'est pour ça que les patients s'aiguillent tout seul : ils n'ont pas le choix.

Internet est une mine d'or d'information mais aussi de désinformation. On y trouve tout et son contraire, et une recherche bâclée ou une confiance excessive en quelque contact sur un réseau social peuvent amener à croire, penser ou faire à peu près n'importe quoi. Beaucoup, en errance médicale, finissent par se soigner au placebo... Beaucoup finissent par céder à l'oubli dans la toxicomanie. D'autres se diagnostiquent eux-mêmes, et font des démarches dans ce sens.

Mais ça ne signifie pas pour qu'il faille pour autant valider les auto-diags. Car avoir besoin d'un diagnostic, c'est une chose. Mais un mauvais diagnostic est bien pire que pas de diagnostic du tout.

C'est probablement le meilleur argument contre l'auto-diag. Mais comme il est majoritairement agité par les médecins dont l'ignorance ou le déni sont la cause même de cette absence de diagnostic, on est tenté de vouloir le rejeter en bloc. Pourtant, cet argument est bel et bien un bon argument, même si je le formulerais autrement. Là où les médecins disent que seul un médecin est compétent, je dirais plutôt : si même les médecins ne sont pas compétents, comment quelqu'un sans formation pourrait l'être ?

Il ne peut pas, bien sûr. Même en se documentant, longtemps, sur des sources rigoureuses, en recoupant les informations, discutant avec des malades. Dans le cadre des maladies rares, il est courant que les patients connaissent mieux leur maladie que les médecins non experts, pour la simple et bonne raison que ce n'est pas franchement difficile. Parce que si personne au monde n'a le temps de suivre l'actualité de toutes les maladies rares (il y en a environ 8.000), une personne peut avoir largement le temps de se documenter sur une d'entre elle spécifiquement. Mais un patient ne connaîtra pas aussi bien les maladies avec lesquelles il peut y avoir confusion. Il ne saura pas forcément décoder correctement le jargon médical, ne sera peut-être pas à l'aise avec les publications scientifiques.

J'insiste sur la rigueur des sources. Beaucoup de choses aujourd'hui sont très "pathologiseantes", mais ne sont pas des pathologies. Chacun est libre de se définir comme hypersensible ou surdoué, mais ce ne sont pas des pathologies. Il est important de faire la part des choses entre le fonctionnement sain de l'organisme humain et les injonctions sociales normatives. Prendre pour un diagnostic ce qui n'est, au final, qu'un fonctionnement sain mais pas conforme aux attentes de la société peut ralentir le diagnostic.

Quand on est en errance médicale, et qu'on rencontre des patients au vécu similaire, on est tenté de se sentir un peu chez soi dans leur diagnostic, même si cela peut être trompeur. On peut se persuader d'avoir trouvé ce qu'on a. Et dans ce cas là, si d'aventure on se trompe, cela peut avoir des conséquences très graves. On peut être amené à rejeter le bon diagnostic pour s'accrocher à une illusion, rejeter les bons traitements et prendre des traitements inutiles, parfois même dangereux, aux conséquences lourdes. Et même sans acharnement médical, un auto-diag altère forcément le rapport qu'on a à soi-même. C'est un processus de réappropriation, de son corps, de sa santé, de son image, de son identité... Mais si ce processus se base sur quelque chose de faux, alors le jour où la vérité éclate tout s'effondre à nouveau.

On me reprochera peut-être d'être alarmiste. Ce n'est pas totalement faux, dans le sens où je décris là le "pires cas" d'un auto-diag erroné. Dans les faits, ce genre d'auto-médication dangereuse reste rare, tandis que les traitement inadaptés prescrit par des médecins ayant placé un diagnostic erroné sont nombreux. Dans le cas du SED, on ne compte plus le nombre de personnes qui ont été détruits par une chirurgie parce qu'on n'avait pas diagnostiqué leur SED. De la même manière, pour l'aspect de réappropriation de soi, tout ne s'effondre pas, dans les faits une partie du travail reste accomplie et on ressort tout de même grandi d'une connaissance pour une autre maladie, ce qui nourrit toujours l'empathie. Au demeurant, l'auto-diag n'est pas une chose à prendre à la légère.

Par ailleurs, les erreurs restent finalement assez rares. La plupart des auto-diags s'avèrent être justes, ou au pire très proches de la vérité. Ce n'est pas délirant dans la mesure où personne n'est mieux placé que le patient pour connaître son état, jusque dans les détails les plus insignifiants, les moins significatifs pour un médecin. Quel médecin prêterait attention au fait que vous vous cognez aux meubles, ça arrive à tout le monde - et pourtant, cela peut être une information pertinente dans certains cas.

Au final, le plus grand danger n'est pas dans l'auto-diag, mais il est dans l'errance médicale : c'est le charlatanisme. Combien de gourous sont prêts à promettre une guérison à tous les maux du mondes ? Je ne sais pas si l'auto-diag protège des charlatans mais une chose m'apparaît évidente, des retours que j'ai eus, c'est que les personnes auto-diag ne tombent quasiment jamais dans ce genre de panneau. Personnellement, je pense plutôt que c'est une question d'état d'esprit : ceux qui veulent des explications, comprendre, vont plutôt chercher des information et se diagnostiquer eux-mêmes, tandis que ceux qui veulent des solutions, guérir, vont plutôt se laisser séduire par des promesses. J'écris ça à l'attention des médecins qui pourraient un jour se retrouver face à un auto-diag, et qui seraient tentés d'en conclure que leur patient est un peu illuminé : si votre patient était illuminé, il ne verrait pas un médecin. Il verrait un gourou.

Enfin, voici venu le temps des conclusions. Sur ce point, je suis ferme et définitif : l'auto-diag n'est PAS à jeter à la poubelle. Et j'irai même jusqu'à dire que les médecins qui le rejettent par principe sont problématiques. Mais il convient de savoir rester prudent.

Pour ceux qui sont en situation d'auto-diag :
N'en faites pas une certitude. Peu importe que la maladie que vous ayez trouvée colle parfaitement avec ce que vous avez. Il est toujours possible qu'une autre maladie, qui y ressemble beaucoup, vous ait échappé totalement. Il ne suffit pas à vous orienter sur des pratiques médicales sans l'aval d'un médecin expert de ce diagnostic. Et surtout, ne vous placez pas en experts. Il est tentant de se convaincre, puis de donner des conseils, mais si vous n'avez pas le suivi médical correspondant, les risques de dire une bêtise sont importants. Mais si vous gardez à l'esprit ces règles de prudence, ne jetez pas votre auto-diag aux orties ! Même si vous vous trompez, ce qui est le cas d'une minorité d'auto-diag, votre auto-diag a de la valeur. Il en apprend beaucoup sur vous, et a de très fortes chances de vous rapprocher de la bonne réponse.

Pour les malades diagnostiqués de maladies ayant de longues errances :

Connaissez votre maladie. C'est votre responsabilité vis-à-vis de vous-même, mais aussi vis-à-vis des autres. Le système médical n'est pas parfait, et vous avez le pouvoir de pallier à une de ces imperfections en connaissant votre maladie. Si une personne vous annonce un auto-diag, votre rôle n'est pas de la juger. Vous n'êtes pas en position de confirmer ou d'infirmer son auto-diag, quelles que soient vos connaissances de la maladie et ce même si vous êtes atteint et que vous êtes certain de la connaître par cœur. Vous pouvez toujours conseiller, relever une question manquante dans un parcours de soin, encourager, aiguiller. Critiquer même si vous pensez voir une erreur, mais avec prudence. La meilleure chose que vous puissiez faire, c'est d'amener la personne auto-diag vers un médecin spécialiste de la question.

Pour les médecins :

Ne faites pas de l'auto-diag une bête noire de la médecine. Si vous avez un jour un patient auto-diag, ce n'est pas qu'il cherche à se débarrasser des médecins. Bien au contraire, comme je l'ai dit plus haut, si c'était le cas c'est un guérisseur qu'il irait voir, ou bien il n'irait voir personne. L'auto-diag signifie une toute autre chose, il signifie que d'autres médecins ont échoué. Peut-être même vous. Ne le prenez pas comme une critique ou une insulte, tout le monde peut se tromper. Ayez toujours de la bienveillance pour les gens qui cherchent, ils trouvent plus souvent qu'on ne le pense.

Pour tout le reste du monde :

Si une personne vous annonce un auto-diag, vous n'avez rien à en dire. Qu'ils s'agisse d'un ami, d'un parent, d'un inconnu. Un auto-diag, ça implique une errance médicale et une certaine somme de souffrances. Avez-vous vraiment envie d'en ajouter encore ? Si vous ne connaissez pas la personne, passez votre chemin. Si c'est un proche, soutenez-la. Je ne dis pas de confirmer son idée. Mais de la soutenir dans sa démarche de chercher une explication.

 

Publié dans Pensées

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