Maltraiter les handicapé·es, mais avec bienveillance.

Publié le par Sandro Swordfire

Il y a un truc très présent quand on parle de validisme, c'est que les gens ne comprennent pas du tout de quoi on parle. Valide...Isme...? Comme dans racisme ? Il y a des gens qui détestent les handicapé·es ?

Les gens qui n'en ont jamais entendu parler ont souvent une réaction étonnée. Les handicapé·es, maltraité·es ? Ça semble absurde, tout le monde les plaint, qui les détesterait ? Après tout il est communément admis que c'est intolérable de maltraiter les infirmes. À condition bien sûr de comprendre ce qui est de la maltraitance. Aujourd'hui on va donc parler d'un comportement fondamental dans le validisme : la bienveillance maltraitante. Parce que voyez-vous, l'enfer est pavé de bonnes intentions.

 

Commençons par un exemple. Il y a une chose sur laquelle les utilisateurices de fauteuils roulants sont parfaitement unanime : on leur attrape le fauteuil, souvent, sans leur demander leur avis, et ce même contre leurs protestations, ce qui peut parfois s'avérer dangereux. C'est terriblement courant. Dès qu'une personne en fauteuil a l'air de galérer, des gens se sentent la responsabilité de venir à la rescousse. En fait quand les gens en fauteuil ne galèrent pas, des valides se sentent quand même le devoir de venir les pousser.

Imaginez que vous vous promenez tranquillement, et soudain quelqu'un que vous n'avez pas vu arrive et vous pousse. Absurde ? C'est le quotidien des handicapé·es en fauteuil.

image animée d'un homme qui se fait violemment pousser dans le dos, avec en texte d'illustration "need some help ?" ("besoin d'aide ?" en anglais)

Je tiens à clarifier, à l'attention des personnes valides qui pourraient lire cet article : non, l'image au-dessus n'est pas une exagération. Pousser une personne en fauteuil sans son avis, c'est exactement ça : pousser quelqu'un. Vous pouvez la renverser, la blesser, casser son fauteuil, et il n'est pas rare que les "pousseureuses non sollicité·es" envoient carrément des handicapé·es aux urgences.

Il est vraiment important de noter : les protestations ne découragent pas les pousseureuses. Même en gueulant "non"... Généralement rien ne les arrête. Et la raison à cela est simple : iels sont persuadé·es de bien faire. Iels ont une conviction de bien faire tellement profonde, tellement ancrée, que le fait qu'on leur dise non n'est même pas perçu comme un signe qu'iels doivent s'arrêter. Oui, c'en est à ce point là. Alors les handicapé·es se défendent comme iels peuvent, notamment avec des décorations à pointe (absolument sans danger)

Capture d'écran d'un tweet contenant une photo de poignée de fauteuil roulant recouverte d'un manchon à picots. Le texte du tweet dit : "We fight back. (non, ça ne troue pas les mains des personnes qui attrape le truc, c'est purement dissuasif)"

Ces piques sont décoratives, c'est le même genre de piques qui sont utilisées pour décorer des vêtements. Elles sont parfaitement inoffensives. La première fois que j'ai vu ce genre de piques c'était le premier juin 2019. Je ne posterai pas de lien vers la source, parce que le jeune homme qui avait mis d'inoffensives piques sur les poignées de son fauteuil à l'époque a subi une vague de harcèlement, d'insultes, d'incitations au suicide et de menaces de mort et que je n'ai pas trop envie que des likes impromptus ne fassent ressurgir le sujet. Oui, des menaces de mort pour une décoration qu'on trouve couramment sur des vêtements.

Certain·es trouvent triste qu'on doivent décorer les poignées avec des pointes, mais si ça marche c'est le principal me direz-vous. Personnellement j'adore le côté punk, très en décalage avec l'image de faiblesse qu'on associe au handicap. Mais surtout on arrive au point où l'absurde touche au comique : ça ne marche pas. Poster des photos de ses piques de poignées sur les internet, c'est un bon moyen de récolter des insultes de valides qui trouvent intolérable qu'on refuse leur aide, mais pire que tout, ça ne les empêche même pas de le faire. Preuve en est.

Capture d'écran d'un tweet contenant une photo de poignée de fauteuil roulant recouverte d'un manchon à picots, avec en plus une étiquette jaune fluo attachée à la poignée avec écrit "ne pas me toucher". Le texte du tweet dit : "Vu qu'hier on m'a encore attrapé j'ai ajouté ceci, là si avec ça les gens comprennent pas c'est de la mauvaise foi x)"

Quels que soient les signes, la pulsion d'aider est trop forte. Les poignées de fauteuils sont un puissant aimant à mains de valides, c'est le genre de super-pouvoir/malédiction que tous les utilisateurices de fauteuil roulant partagent. En fait, toustes les handicapé·es partagent le talent de déclencher des élans de solidarité. Et si vous pensez que ce que je dis là est exagéré, jugez par vous-même :

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capture d'écran d'un tweet de la même personne que le tweet précédent. Le tweet dit : "Je me remets pas du fait qu'un mec ait eu l'audace de m'attraper malgré les piques ET l'écriteau ça me dépasse genre ?? Puis je lui ais dit deux fois de me lâcher il l'a pas fait, un grand daron là, il m'a fixé pendant tout le trajet en bus avec son air satisfait 💀"

Malheureusement, les élans de solidarité que le handicap provoquent sont surtout des élans malvenus. Certains se font même de l'argent sous couvert de charité. Les valides se sentent souvent le devoir d'aider les handicapé·es. On pourrait croire que c'est une bonne chose, dans la mesure où le handicap implique souvent d'avoir besoin d'aides spécifiques dont les valides n'ont pas besoin. Mais comme je l'écris ici : ce sont des aides spécifiques. De la même manière qu'on ne sait pas conduire une voiture sans apprendre, on ne sait pas conduire un fauteuil roulant sans l'avoir déjà fait. Jusque dans des choses parfois qui sembles élémentaires : lire un menu de restaurant à une personne aveugle, il y a des tas de façons de le faire, et si vous ne vous êtes jamais arrêté cinq secondes pour y réfléchir, le jour où vous y serez confronté vous pourriez faire perdre un temps considérable à la personne que vous essaierez d'aider.

Avec le handicap vient une expertise unique : celle de ses besoins propres. J'avais parlé il y a quelques temps de la parole des concerné·es, ce que je décris ici est un bon exemple : pour comprendre la vie avec un handicap, il faut avoir ce handicap. Sans ça, on ne fait que projeter sa perception du monde sur quelqu'un qui peut en avoir une perception totalement différente, et ça peut avoir des conséquences graves.

Les enfants autistes subissent très souvent des maltraitances qui visent à les rendre "normaux", parce que leurs parents ne parviennent pas à comprendre que les "bizarreries" de leur enfant sont en fait sa normalité. Pour les parents non autistes, les "anormalités" de leurs enfant autiste sont le signe que quelque chose ne va pas, et les faire disparaître est le signe que leur enfant va mieux (dans le meilleur des cas...). Alors qu'en fait, ce sont simplement des traits autistiques, et les parents ne font que contraindre les enfants à s'interdire d'être elleux-même. Contraindre son enfant à nier ses besoins, c'est en soi de la maltraitance, mais les méthodes utilisées le sont aussi.

Cela peut aboutir à des résultats terribles. Beaucoup de mouvements sectaires se nourrissent des angoisses de parents valides, allant jusqu'à les faire empoisonner leurs enfants pour les "guérir" de leur autisme.

Cette façon de projeter sur son enfant sa propre perception du monde peut avoir des conséquences dramatiques. Plus le handicap est perçu comme lourd et plus les maltraitance extrêmes deviennent courantes. Il arrive que des parents, convaincu·es que la vie de leur enfant n'a aucune valeur, en viennent à assassiner leur propre enfant.

 

Même si le fait de pousser un fauteuil malgré le refus de la personne assise dedans n'a aucune commune mesure avec un infanticide en terme de gravité, les deux se placent sur un même continuum : la déshumanisation. Et les maltraitance bienveillantes sont très liées à la déshumanisation.

 

Dans notre société les handicapé·es sont généralement considéré·es comme étant moins des êtres humains que les valides. On ne considère pas que les handicapé·es ont des limitations : on considère que les handicapé·es n'ont aucune aptitude. Il arrive souvent que des valides essaient de "rassurer" des handicapé·es en leur disant "mais non, tu n'es pas handicapé·es, tu as des capacités"... Les handicapé·es sont perçu·es comme incapable de tout, et cela comprend bien sûr l'incapacité à comprendre les choses et à juger d'une situation. Prenons une minute pour mesurer l'absurdité de la chose : une personne qui se déplace en fauteuil sait mieux que quiconque ce qu'elle peut faire ou pas. Déjà, elle le sait mieux que les autres utilisateurices de fauteuil roulant, vu que chacun son poids, sa taille, sa force, son expérience. Comment quelqu'un qui n'a jamais utilisé de fauteuil roulant pourrait mieux jauger une situation qu'une personne qui a l'habitude d'en utiliser un ? Et pourtant les gens poussent. Malgré les picots, les pancartes, les refus, parfois même malgré les trois en même temps.

Pour les pousseureuses compulsifs, quand un·e handicapé·e dit "non", c'est juste parce qu'iel n'a pas compris qu'on essaie de l'aider, ou c'est parce qu'iel est surpris·e, bref : ce n'est même pas perçu comme un refus. Les handicapé·es sont ainsi baladé·es comme on trimballe un meuble. On pousse le fauteuil comme si il était vide, comme si il n'y avait pas une personne dedans.

La déshumanisation des personnes handicapé·es étant un sujet à part entière, je ne vais pas m'étendre plus longtemps dessus pour cette fois, revenons en à notre sujet. En résumé : tout le monde a l'air de vouloir aider les handicapé·es, mais pas grand-monde n'a l'air de vouloir leur demander de quoi iels ont besoin. À moins d'une urgence vitale, imposer une aide à quelqu'un ne l’aide pas.

Vous pouvez toujours proposer d'aider quand vous voyez quelqu'un qui a l'air de galérer, mais si vous vous imposez à quelqu'un ce n'est pas de l'aide.

 

Cette maltraitance toute en bienveillance, c'est une des composantes principales du validisme, et une des premières choses qu'il est important de comprendre pour les valides. Je m'adresse donc aux valides : quelle que soit votre bonne volonté ou votre bienveillance, vous pouvez maltraiter quelqu'un en étant convaincu·e de faire une bonne action. Nous avons toustes tendance à projeter sur les autres notre perception de la réalité, sachez que cette tendance est beaucoup plus forte envers les handicapé·es et vous n'y échappez pas.

 

Rappelez-vous toujours : nous connaissons nos besoins mieux que vous.

Publié dans Validisme

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